LES
CINQ PROBLEMES D’URBANISME.
Avant que
d’entrer dans le vif du sujet, il est bon de faire un rapide survol de cette
science
relativement récente qu’est l’URBANISME, en exposant brièvement les phénomènes
qui ont été à l’origine de son apparition avec leurs conséquences induites.
Le mot «
Urbanisme » : néologisme forgé peu avant la 1ère guerre mondiale, s’est
généralisé par suite de la reconstruction des régions dévastées. Cette nouvelle
science, sociale en sonessence, a dû son éclosion à la nécessité de discipliner
des métamorphoses extrêmement complexes et déroutantes, nées de la grande
poussée démographique européenne du 19è s, conjuguée avec le développement du
machinisme. Ces deux faits aboutirent à une transformation structurale de la
civilisation contemporaine que l’on nomme le phénomène d’urbanisation. Son
importance est comparable à celle
des grandes invasions.
Il est
caractérisé par des migrations de grandes foules (bi ou quadri quotidiennes,
hebdomadaires
ou saisonnières, temporaires ou définitives) arrachant l’habitant à son terroir
natal pour le drainer vers les grands pôles industriels d’activité.
Cette
révolution démographique a entraîné une révolution morale. Le foyer familial,
regroupant
plusieurs générations sous un même toit, s’est contracté à la forme conjugale
ou instable. L’habitat réduit des grands centres urbains a conduit à une baisse
de la natalité, la fonction éducatrice qui restait la principale mission de la
famille a été sapée par le nombrecroissant des divorces, enfin la promiscuité
rencontrée dans les grands centres urbains a permis le développement de la
criminalité et la concentration des perversions de toute nature… Les grandes
masses prolétariennes transplantées, déracinées et déçues ne voient d’issues
que dans une action révolutionnaire où réapparaît l’esprit grégaire, le vieil
instinct de lutte et de haine contre l’esprit de prévoyance, de stabilité et de
responsabilité individuelle, qu’ont créé des millénaires d’efforts aboutissant
très exactement à la civilisation occidentale.
L’apparition
de l’urbanisme parmi les sciences, et des urbanistes parmi les chercheurs, est
donc la conséquence de problèmes nouveaux posés par le phénomène d’urbanisation
que nous venons d’évoquer.
Voici
la définition de L’URBANISME donnée par Gaston Bardet, dans son ouvrage
«
PROBLEMES D’URBANISME » publié fin 1947. Il écrit : « c’est un ensemble de disciplines
:
- d’abord une Science qui
s’attaque à la connaissance des choses, étudie
méthodiquement les faits, recherche les causes
premières, puis après un travail
rigoureux d’analyse, essaie de déterminer par
synthèses successives, sinon des
lois du moins des principes directeurs.
- Puis un Art appliqué qui passe à l’action, à la
création de synthèses nouvelles,
matérialisant
par un jeu de pleins et de vides les volumes où s’abritent les
groupes
sociaux. Mais l’application de cet Art, après l’analyse scientifique,
nécessite
un double choix : choix des composants urbains à restaurer, modifier
ou créer
et choix des applications possibles.
- Ce double choix qui implique la détermination des valeurs
humaines est, par
essence, une Philosophie. »,
Quand à L’URBANISTE il le
définit comme : « un artiste cultivé.
-
Artiste car seules la forme de connaissance
et la préparation artistiques
permettent d’avoir d’emblée
conscience des complexités vivantes, puis de les
harmoniser en des créations fécondes
;
-
cultivé car seule une culture personnelle
approfondie et tenue à jour, de toutes les disciplines humaines touchant à la
Cité, peut donner les repères indispensables à la solidité des observations,
permettre les associations
créatrices et guider le choix des valeurs ».
Quand fin
1947, Gaston Bardet publie « PROBLEMES D’URBANISME », rédigé à partir de 1939,
il part du constat, fait par Durkheim, que les différentes études sur la
structure du groupe urbain, menées par des théoriciens réformateurs tels Thomas
Morus, Campanella, Morelly, Fourier, Richardson, avaient « pour objet non pas
de décrire et d’expliquer les sociétés telles qu’elles sont ou qu’elles ont
été, mais de chercher ce que les sociétés doivent être, comment elles doivent
s’organiser pour être aussi parfaites que possible ». Cela revient à dire que
de Fourier à Le Corbusier on imagine, sur table rase, un certain état –
correspondant à l’idéal qu’ils se font de la civilisation – mais n’arrivent
plus ensuite à faire coller le masque sur le visage de la réalité. Or, la
ville est un être vivant, possédant une âme collective (qui n’est
pas une réalité ontologique) et un comportement propre. Saisissant
maintenant cet être vivant comme une unité localisée (bien que mouvante)
en inter-relations continues avec les autres unités sociales différenciées qui
constellent l’étendue géographique, on peut dire que cette unité est
composée d’un être individuel plongeant ses racines dans le site urbain, et d’un être
social en constante immersion dans la civilisation générale. De leurs
échanges mutuels naît le comportement global de la ville.
Pour lui, « une ville n’est point un
assemblage de rues et de maisons, celles-ci ne
sont que les carapaces, les
coquilles d’une société de personnes. Une ville est une oeuvre d’art à laquelle
ont coopéré des générations d’habitants »… Il poursuit : « parce qu’elle est
dans un perpétuel devenir sous l’effet de la succession infiniment changeante
des êtres qui l’habitent et la font et refont, la ville ne se ramène nullement
à son plan, schéma graphique, ni même à l’ensemble des creux et des pleins
architecturaux qui le définissent »… ceux-ci ne sont « que les manifestations
extérieures de l’existence d’un être collectif chez qui la vie est entretenue
par la substitution des générations les unes aux autres : c’est la
connaissance de cet être collectif qui importe avant tout ».
Par conséquent, « la réussite
humaine éventuelle d’une ville neuve dépendra du soin
apporté à la formation d’une
véritable âme urbaine, cette âme dont la présence fait qu’un quelconque village
est infiniment supérieur aux cités-jardins les plus soignées ».
Fort de ces constatations, Gaston
Bardet a élaboré dès 1934, une méthode d’analyse
nouvelle. Au lieu de partir de la
ville, de ses fonctions, pour en déduire ses éléments propres, il considère les
réalisations urbaines sous divers angles particuliers, non pas en simple
spécialiste de chaque technique, mais en urbaniste, se plaçant au centre même
de la vie urbaine organique, indivisible, changeante et durable à la fois.
Ce qui le conduit à proposer, à
titre de méthodologie, et sans apriorisme, de classer les
problèmes qui se posent à
l’urbaniste en cinq catégories :
-
Problèmes de
circulation,
-
Problèmes d’hygiène et
de confort,
-
Problèmes sociaux et
économiques,
-
Problèmes d’esthétique
-
Problèmes Intellectuels
et spirituels.
Il précise en même temps, qu’il faut
toutefois bien se garder de penser que ces problèmesse résolvent ainsi en ordre
immuable. C’est une classification pratique dans le but de faire ressortir
l’échelle des valeurs et l’ampleur des questions qui ne peuvent être résolues
que par une vision globale.
La nouveauté de ce schéma (élaboré
dès 1934, comme nous l’avons dit) est qu’il
permettait de sortir, pour la
première fois, des triangles classiques : Hygiène, Circulation, Esthétique ou
Santé, Beauté, Confort, transformant ainsi la vision de l’urbaniste en plaçant l’idéal
spirituel au-dessus de la recherche du confortable ! Une vraie révolution…Les
deux premiers problèmes (circulation et hygiène) sont plutôt d’ordre technique.
Avec les problèmes sociaux et économiques – vivifiés par la connaissance des
questions intellectuelles et spirituelles – on entre dans l’ordre de la science
urbanistique. Gaston Bardet précise qu’il a dû – pour des raisons de clarté –
séparer les problèmes d’esthétique des problèmes spirituels, bien que, sous
l’angle de la création pure, ce soit inconcevable. Nous allons passer
maintenant en revue ces différents problèmes, en repérant comment - en
visionnaire qu’il fut - il s’en empare pour les traiter d’une manière toute nouvelle,
à la fois synthétique et globale.
I – PROBLEMES DE CIRCULATION.
La circulation, c’est l’ensemble des
échanges de toutes sortes, matériels et spirituels,
entre la ville, sa région, le vaste
monde et à l’intérieur de ces milieux eux-mêmes. C’est la manifestation la plus
tangible de la vie urbaine. Aussi a-t-on trop souvent voulu réduire l’urbanisme
à une question de circulation envisagée sous l’angle le plus étroit de la
voirie. Le milieu immédiat ou régional régit les accès de la ville : par eau,
par route, par fer et par air. L’aménagement d’une ville corsetée dans ses
frontières communales ne peut mener à rien, il faut étudier le réseau des
communications dans la région dont elle fait partie.
La voie d’eau (chenal maritime ou fluvial) par son
origine géographique, ses
profondeurs et niveau imposés est
l’un des accès les plus ancrés de la ville auquel se
subordonnent tous les autres. La
voie de terre, souple, est, elle, au contraire un vrai
graphique enregistreur de la volonté
humaine. Rassemblant tous les mouvements
d’échange, elle défie la topographie
soit en l’épousant soit en la franchissant par des
viaducs, ponts, tranchées ou
tunnels. A partir du 19è s. le chemin de fer est venu modifier bien des
situations acquises en détournant ou affirmant nombre de grandes voies
d’échange. Délaissant les villes construites sur les hauteurs pour la plaine,
le rail a conduit à la création de faubourgs extérieurs, fixant autour des
gares (nouvelles portes des villes) tout une population. Afin d’éviter les
barrières artificielles que constitue le rail dans les villes, Gaston Bardet
suggère d’élever de plusieurs
mètres le plan du chemin de fer et
de répartir les gares pour éviter les congestions qu’elles provoquent – tout en
les jumelant avec des gares routières et des aérogares.
La voie aérienne, elle, pose des problèmes
d’infrastructure insolubles dans les
agglomérations trop denses. D’où
nécessité d’éloigner les aéroports tout en les reliant à la ville par des
moyens de transport rapides ; de tenir compte des nuisances sonores et polluantes
qu’ils génèrent en créant des couloirs de circulation évitant au maximum les zones
d’habitation dense.
La rue, jadis, remplissait deux fonctions :
canaliser la circulation et vertébrer le morcellement du sol. Anticipant, dès
1947, sur l’expansion pléthorique de l’automobile et les nuisances induites,
Gaston Bardet envisage de séparer le cheminement des piétons de la trajectoire
des véhicules, à la fois par des tracés indépendants et par des différences de niveau,
sérier les véhicules par catégories et vitesses, le débit étant fonction de l’homogénéité,
enfin libérer les maisons de l’alignement rigide qui était de règle. Des tracés
différents, des profils en long et en travers symétriques ou dissymétriques,
des plantations d’alignement ainsi que des dédoublements de chaussées
épouseront la topographie ou aideront à caractériser les différentes fonctions
des voies : échanges, résidence, circulation
lourde, tourisme, etc.… Il plaide
pour une organisation « radioconcentrique » ou en toile d’araignée, composée de
voies « rayonnantes » qui vivifient et d’autres « circulaires » qui enveloppent
et unifient. En ce qui concerne les places, qui doivent être des lieux clos et
paisibles, il prévoit une circulation uniquement latérale et de préférence d’un
seul côté, évitant ainsi de les assimiler à des carrefours qui sont, eux, des
lieux de passage, de croisement, de circulation giratoire : véritable petite
gare régulatrice. Ce sont ces principes directeurs qu’il mettra en application,
à partir de 1957, lorsqu’il sera nommé urbaniste communal du petit bourg rural
de LE RHEU, à l’ouest de RENNES,
y réalisant la première cité-jardin de France. A la fin de cet exposé seront
projetés quelques exemples des réalisations du RHEU qui illustreront mon
propos. Dans « Problèmes d’Urbanisme », anticipant sur les 20 ou 30 années à
venir, il
cherche comment faciliter la
circulation et diminuer les points de conflit dans les grandes agglomérations.
Il propose la création de carrefours giratoires, la répartition des flots en
les divisant, l’utilisation des possibilités offertes par les sens uniques, la
création des « sauts-demouton » ou « gendarme couché», de passages souterrains
et également, dans certains cas, des croisements à différents niveaux, en forme
de trèfle ou autre. Ces derniers étant à proscrire en centre ville car ils
détruisent tout contact humain (comme le trèfle de l’Ecluse, à Stockholm).
Surtout il attire l’attention sur
les constructions démesurées en hauteur, empilant sur
les commerces au sol, des milliers
de mètres carrés d’appartements et bureaux, créant ainsi une congestion au sol
générant des coûts prohibitifs de gestion…. Car il faut être conscient que le
coût de tous les systèmes de transports dans une métropole,
depuis la chaussée ordinaire
jusqu’au métro (pour voyageurs ou marchandises qui, comme à New-York, s’étagent
parfois sur six niveaux) est énorme en capital, entretien, perte de temps et
usure humaine. Tout cela pour une activité qui – dès qu’elle dépasse une
certaine échelle – obtient un rendement non proportionnel à son intensité, non
productrice ni élévatrice du niveau de bonheur, servant uniquement au maintien
des capitaux et des foules.
II – PROBLEMES D’HYGIENE ET DE CONFORT.
Dans cette série de problèmes,
Gaston Bardet évoque outre les systèmes de
distribution d’eau potable et
d’assainissement des eaux usées, les orientations des façades principales en
fonction de l’ensoleillement, l’orientation des rues prenant en compte les
vents dominants, violents ou pluvieux, la prévention des nuisances et
pollutions, l’évacuation des ordures et déchets, enfin la prévention contre le
bruit en veillant au mariage de la ville avec la verdure.
A ce sujet, il préconise la création
de parcs, de jardins de quartiers et jardins
d’enfants, de terrains de sport et
de jeux et liaisonnant le tout, des avenues-parcs qui doivent constituer un
réseau ininterrompu et totalement isolé des poussières, des émanations nocives,
des dangers de la circulation. Sur ce réseau de verdure doivent se brancher les
écoles, les terrains de jeux et les terrains de quartier. Il écrit : « le
véritable moyen d’aérer, d’ensoleiller, d’assainir la ville, chimiquement et physiquement,
c’est en réalité son mariage avec la verdure ». La ville dans la verdure ce fut
l’idéal des cités-jardins d’Howard ; la verdure dans la ville fut celui des
municipalités américaines. C’est ce qu’il a réalisé à LE RHEU, dans le
lotissement des Sports – que nous verrons tout à l’heure - où outre les placettes
traitées en « green », il a eu le souci d’intégrer des espaces verts dans la composition
urbaine autrement que pour répondre à un souci de mise en scène. Ainsi, le premier
stade municipal se trouve-t-il localisé au milieu des habitations et rejoint,
par un chemin piéton, un espace libre pour les jeux ou la promenade le long des
terrains
municipaux. Vous le verrez tout à
l’heure lors de la projection. (fig. 25).
C’est par suite d’une admiration
béate pour la technique, qu’on a trop souvent réduit,
durant des décennies, les problèmes
d’hygiène au seul tout-à-l’égout. Or, ce sont
essentiellement les systèmes de
parcs et l’équipement d’hygiène sociale (centres de santé, dispensaires, etc.…)
qui peuvent lutter contre le fait que les villes sont « biologiquement des milieux
ennemis et meurtriers de la vie » comme l’écrivait Alexis Carrel, dans «
l’homme cet inconnu ».
III – PROBLEMES ECONOMIQUES ET
SOCIAUX.
Dans l’approche qu’il fait de ces
problèmes, Gaston BARDET étudie tout particulièrement les critères permettant
de définir la taille optimale d’une ville avec des coûts de gestion
raisonnables, d’une part - En général, plus une ville est grande, plus elle est
endettée – et d’autre part, socialement et économiquement elle ne répond plus à
sa fonction d’organisme de transmission sociale et d’élément d’association.
Elle devient facteur de
désagrégation. Il existe en effet, une limitation biologique effective à la
concentration urbaine, qu’il fixe à l’optimum de 15.000 familles, pour que le
milieu reste sain.
Il pointe également la ségrégation liée à une
certaine conception du zoning. L’afflux des populations ouvrières dans les
villes modernes a conduit à la notion contemporaine et inhumaine, de faubourgs
(ou banlieues) exclusivement ouvriers. Puis la nécessité de séparer les zones
industrielles des zones résidentielles ont imposé graduellement des divisions
administratives en zones : d’habitations collectives, d’habitations
individuelles et industrielles. Cet esprit de cloisonnement, excellent en ce qui
concerne la mise à l’écart des nuisances, s’avère catastrophique par suite de
sa mauvaise application qui a contribué au rejet d’une classe paupérisée en des
zones défavorisées.
A partir de ses travaux d’analyse
urbaine, Gaston BARDET met au point ce qu’il
appelle une « topographie sociale »
destinée à mettre en évidence la structure sociale de la ville et « l’image »
d’un quartier, démontrant ainsi qu’une agglomération urbaine n’est pas un
simple espace géographique mais un espace social complexe et hétérogène formé
d’une multiplicité de groupes secondaires, qu’il baptise du nom d’échelons qui
sont, par ordre croissant :
-
L’échelon patriarcal, (groupe élémentaire de voisinage
(5 à 15 ménages) qui
s’assistent et s’entraident. La
famille conjugale actuelle est trop faible pour
permettre à ses membres de se rendre
les services indispensables (garde des
enfants, soins aux malades, services
divers). Cet échelon est une constante
sociale, proprement biologique.
-
L’échelon domestique. C’est l’assemblage de rues et de
parcs et d’échelons
patriarcaux, regroupant de 50 à 150
foyers. Il a une vie propre, une identité
caractérisée par une voie, un site,
voire un équipement particulier. Il peut avoir
ses manifestations propres. C’est
une constante d’ordre géoéconomique, le
premier élément proprement urbain
dont la fédération constitue l’échelon
supérieur :
-
L’échelon paroissial. Composé naturellement de plusieurs
échelons domestiques, c’est ce que nous appelons plus communément, le quartier,
le faubourg ou la petite villette. Il regroupe 500 à 1500 familles et est
identifiable par des équipements collectifs importants (centre cultuel et/ou
culturel) et monumentaux.
Chaque échelon possède son centre,
ses limites, il est hétérogène et il abrite des personnes de différentes
classes sociales et de genres de vie complémentaires.
Il ajoute à cette première série
d’échelons trois autres d’ordre croissant :
-
La cité humaine (5000 à 15000 familles),
-
La métropole
régionale (50.000 à
150.000 familles)
-
La capitale (500.000 à 1.500.000 familles).
Il précise bien que cette
classification n’a rien de rigide et dans « PROBLEMES
D’URBANISME », il admet déjà qu’une
grande souplesse doit accompagner cette
vision cellulaire de la vie sociale
et qu’il ne serait pas contre nature de voir les chiffres
avancés passer du simple au double,
voire plus.
IV – PROBLEMES D’ESTHETIQUE.
En rappelant que la cité « est la
plus grande oeuvre d’art collectif », Gaston BARDET
bat en brèche la réglementation
classique qui traduit souvent une subordination de
l’esthétique à des préceptes
d’hygiène simplistes. Il écrit : « la ville est faite par l’homme et pour
l’homme. Sa silhouette, son coloris, ses jeux de pleins et de vides, son
caractère, son échelle, qu’ils proviennent de ses matériaux (hommes et pierres),
de son site humanisé, de ses modes de vie passés ou présents, du nombre de ses
habitants, sont les éléments constitutifs et primordiaux de sa personnalité ».
Jadis, l’unité et la beauté urbaines
étaient filles d’une discipline consentie, d’un sûr
instinct et d’une réelle communauté
d’idées. La dégradation du goût, la poursuite forcenée des profits obligent à
réglementer étroitement les constructions publiques et privées. Cette réglementation
doit être aussi sévère contre les fautifs que souple et nuancée dans sa conception.
Cette réglementation, selon lui, ne peut être le fruit de la cogitation de technocrates
rigides, mais le résultat de conseils éclairés de véritables artistes.
Il évoque enfin la notion
fondamentale de « tableaux urbains » en affirmant que
« c’est par le groupement organique,
par la composition en tableaux urbains que l’on
obtiendra une meilleure utilisation
de l’espace libre, le dégagement des vues, une économie générale des
circulations et la renaissance du sentiment communautaire ».
V – PROBLEMES INTELLECTUELS ET
SPIRITUELS.
C’est dans la prise en compte de
problèmes de ce type ajoutés à la dimension
sociale déjà prise en compte, que
Gaston BARDET ouvre l’urbanisme à une nouvelle
dimension philosophique faite
d’humanisme mais aussi de valeurs morales.
Bergson – fait-il remarquer –
distingue le spirituel, l’esprit en soi cheminant dans les
voies de la création continue et
faisant fleurir sur son passage oeuvres esthétiques,
religieuses, politiques, sociales
par lesquelles l’homme manifeste sa liberté, et en quoi
consiste proprement la civilisation
; de l’intellectuel ou détournement de cet esprit vers l’utilisation de
la matière par l’homme, embrassant donc les rapports nécessaires entre les forces
extérieures et conséquemment soumis à ces rapports. C’est l’ homo faber en
qui un certain matérialisme a cru voir la source de tout progrès !
A la Renaissance – poursuit-il –
l’homme a fait la découverte de l’humain. Ayant
tourné son regard vers lui-même, il
s’est mis à s’adorer en tant que créateur au lieu de
continuer à se conduire en créature
soumise à l’ordre même de la création. Il en résulte, note Maritain, une cité
sans Dieu, « une cité qui ignore d’une manière absolue, en tant que cité, toute
autre fin qu’une perfection humaine exclusivement terrestre ».
Les tentatives les plus louables des
utopistes comme Howard, par ex., ne visent qu’au bienêtre, à édifier un «
paradis » terre à terre, alors que la seule solution pratique et effective à tous
les problèmes sociaux – conclut BARDET – c’est l’amour du prochain, la charité…
Pour ce faire, il faut utiliser des cadres où les rapprochements humains, se
multipliant sans défaillance, sollicitent des hommes une union de plus en plus
étroite. Car, c’est pour des sociétés simples et closes et pour des petits
groupes que la structure morale originelle et fondamentale de l’homme, est
faite. Dans les foules, les grands nombres, l’homme est atomisé, frappé
d’impuissance, d’isolement, de déracinement.
Or, s’il était relativement aisé, au
Moyen Age, de forger une civilisation pour petits
groupes, on conçoit la difficile
tâche de notre siècle : amener les masses à la conscience d’elles-mêmes, à leur
majorité spirituelle, éviter leur dissolution en foules, permettre à la fois leur
croissance en nombre et en qualité, en force et en sagesse…
Et Gaston BARDET de conclure ce
chapitre sur les cinq problèmes d’urbanisme, en
écrivant : « retrouver les cadres à
la taille de l’homme, leur hiérarchie, leur grandiose
fédération, y faire vivre tous les
hommes dans les meilleures conditions possibles de confort soit, mais en vue de
leur épanouissement spirituel, telle est la haute mission des urbanistes qui
doivent être des appeleurs d’âmes ! ». Or, l’on ne peut disposer les «
coquilles » qui suscitent la formation d’âme, de psyché collective vivante,
qu’en se fondant sur la réalité de l’homme intégral qui est : corps, âme et
esprit.
4.5. Les échelons
communautaires
Partant
de ce qui est, Gaston Bardet déduit par observation directe des communautés
urbaines, qu’à certain changement de volume correspond un changement de nature,
un changement de fonction, qu’à certaines échelles correspondent certaines
espèces. Ces observations limitées à la société française s’appliquent
toutefois aux agglomérations en général.
Il
distingue d’abord trois échelons qu’il appelle : patriarcal, domestique et
paroissial. Ils seront, bien évidemment, différents de volume selon
l’importance de l’agglomération envisagée, la plus ou moins grande densité de
l’espace urbanisé ; mais ils ne seront pas directement proportionnels à
l’importance des agglomérations.
- L’échelon patriarcal.
C’est le groupe élémentaire où les voisins
s’assistent et s’entraident dans les travaux, les fêtes, les maladies, les
deuils, les échanges de présents et de secours. La proximité n’est pas tout, il
faut encore, sinon la solidarité absolue, du moins des relations de bon
voisinage.
Il
faut, enfin, dans la traduction plastique de cet échelon, un lieu élémentaire
de réunion, parfois privé, parfois commun : avant-cour, jardin, lavoir où
peut s’exercer une activité commune. C’est pourquoi ce groupe familial de
voisinage, cet échelon patriarcal est une constante sociale proprement
biologique.
- L’échelon domestique.
C’est
très exactement la continuité des cheminements quotidiens qui fait la liaison
entre les diverses maisons, les divers foyers. C’est pourquoi cet échelon
s’épanouit autour des places fermées, des élargissements analogues aux places
italiennes. Dans les structures nouvelles, ouvertes sur un jardin intérieur –
que les futurs urbanistes traceront – ce sera toujours le cheminement
piétonnier qui restera socialement formateur, mais il sera enveloppé et non
enveloppant. A cet échelon, le lieu de rassemblement n’est plus un point,
c’est l’alignement des boutiques
tout entier.
Dans
un échelon domestique, il n’y a généralement que du commerce quotidien, et
parfois quelques commerçants de bourg égarés. Le commerce n’y est ainsi qu’une
des formes de l’alternance des activités ; la commerçante y est une ménagère
comme les autres et la cohésion de cet échelon en est renforcée.
Cet
échelon, tissé par les cheminements vivriers ou les besoins les plus primaires,
correspond à la solidarité nécessaire au jour le jour. L’échelon domestique
n’est donc pas une addition d’échelons patriarcaux, c’est une autre constante
sociale, d’ordre géo-économique. C’est, en fait, le premier élément proprement
urbain.
- L’échelon paroissial.
Le
quartier, le faubourg sont des unités administrativement reconnues, leurs
habitants ne se contentent pas de lieux de réunion de plein air, issus de
configurations hasardeuses. Ils possèdent ou réclament des monuments :
église et/ou marché à eux.
Le
monument public – dont la multiplication est le signe d’une haute civilisation
– est l’organe qui caractérise cet échelon. Il est, soit générateur de
quartier, soit expression postérieure de celui-ci. « Le monument crée le
quartier, non seulement il lui donne son dispositif, sa vie, mais aussi sa
physionomie ». L’édifice public, comme organe de mouvement
exerce son attraction sur les rues avoisinantes ; comme organe de
développement, il aide à former le quartier autour de lui. Enfin, comme organe
de structure ou de distribution. Une fois qu’il est bâti, tout le quartier
dépend de lui car il donne au quartier le reflet de sa vie intime.
Toutefois, ce
n’est point l’échange vivrier ou matériel qui caractérise cet échelon ; il
n’est pas simplement une communauté matérielle, il est surtout une communauté
spirituelle. Une vie suffisamment fournie en éléments complémentaires pour
avoir une intensité réelle. C’est pourquoi Gaston Bardet a baptisé cet
échelon : l’échelon paroissial pour évoquer le rôle spirituel, le rôle
solidarisant qu’y jouait la paroisse, il y a quelques siècles.
La détection
de cet échelon, par les méthodes de topographie sociale mises au point par
Gaston Bardet, est peut-être plus aisée que celle de nos échelons précédents, par suite
de son importance : 500 à 1500 familles, et du monument qui le révèle.
Dans cet
échelon, tout doit être fonction de la vie de l’enfant. Sa dimension est fixée
par la distance maximum que peut fournir un enfant pré-adolescent pour aller à pied, de la maison la plus
éloignée, à la crêche, à l’école et aux terrains de jeux annexes ; ces
éléments d’éducation jouant, dans notre vie culturelle, le rôle de l’église et
de son cloître, au Moyen-Age. Leur forme est déterminée par la nécessité de
protéger l’école et les maisons du trafic routier, de ses dangers et de ses
nuisances. C’est une enceinte de foyers autour d’un espace libre commun, munie
d’éléments régénérateurs et, en particulier, d’un édifice social : maison
commune, bien étudiée qui doit réunir toutes les fonctions élémentaires et
immédiates.
C’est, en
somme, un petit village, une petite paroisse qu’il faut créer, avec sa crêche,
ses écoles, ses terrains de jeux, ses douches, sa buanderie, sa chapelle, ses
salles de réunions communes, ses coopératives de consommation, voire quelques
ateliers d’artisans, permettant à l’enfant d’observer le mariage de la main et
de la matière.
- La Cité humaine.
Les trois premiers échelons, s’ajoutant les uns aux
autres, ne font qu’augmenter l’intensité de la vie urbaine qui les solidarise,
au détriment toutefois de leur autonomie propre. A leurs qualités propres
s’ajoutent, d’étage en étage, des qualités nouvelles, caractéristiques du
changement d’échelle, de structure, de destin.
Celles-ci ne
risquent pas de faire disparaître les qualités antérieures des échelons les
plus élémentaires, jusqu’à un certain volume, qui est celui de la Cité humaine
contemporaine, celle
qui réalise parfaitement le milieu favorable à l’épanouissement du bien vivre,
ce qui est la fonction essentielle de la Cité.
Au-delà d’un
certain point : une dizaine de milliers de familles, mais qui varie selon
les conditions régionales et la culture, la croissance urbaine se châtie
elle-même. L’optimum à retenir dépend du niveau de la culture et du niveau de
la technique. Il faut donc en avoir une conception non pas statique mais
dynamique. Pour un même niveau de civilisation tout dépend de la proportion des
créateurs et des échanges actifs par rapport au reste de la population.
Le
développement de la civilisation : culture et technique, conduit à de
petites cités de vie communautaire intense. Ceci est vrai pour les communautés
de voisinage agglomérées ; nous verrons que par un remarquable jeu de
balance, dans le cas des communautés spatiales, la civilisation conduit à des
fédérations de plus en plus vastes.
- La série des échelons.
Après avoir observé les quatre échelons :
-
patriarcal, de l’ordre de 5 à 15 familles,
- domestique, de l’ordre
de 50 à 150 familles,
- paroissial, de l’ordre
de 500 à 1.500 familles
- et celui de la Cité,
de l’ordre de 5.000 à 15.000 familles, Gaston Bardet en détermine deux
autres : - l’échelon métropolitain régional, de l’ordre de 50 à 150.000
familles et – l’échelon métropolitain capitale, de l’ordre de 500.000 à
1.500.000 familles. Mais ces estimations n’impliquent nullement que ces
échelons supérieurs (dans leur état présent) réalisent une fédération organique
des échelons inférieurs, ainsi que l’analyse nous l’a montré au contraire
jusqu’à la Cité.
En
définitive on peut classer les espèces sociales que l’urbaniste devra traiter
dans les six échelons suivants :
1er
échelon : le hameau, l’écart, la rangée ou la maison plurifamiliale.
2ème
échelon : le village, d’exploitation strictement rurale, l’ancien
petit faubourg organique, l’îlot d’habitat collectif, la petite commune rurale
ou le micro-pays.
3ème
échelon : le bourg, le village-centre (avec ses satellites), la
paroisse, l’ancien quartier organique, l’unité de voisinage future ou le
canton.
4ème
échelon : la cité humaine proprement dite, le pays rural ou
l’arrondissement.
5ème
échelon : la métropole régionale ou le département.
6ème
échelon : la métropole capitale ou la région, en se rappelant toujours
qu’il s’agit de bio-sociologie avec tout ce que cela signifie de souplesse et
d’adaptation et non d’architecture, de pétrification.
Note : la population
rurale des cantons correspond sensiblement à un fort échelon paroissial ;
celle du « pays » correspond sensiblement à une cité ; le
département correspond lui à une métropole régionale et la région correspond
sensiblement à une métropole capitale avec ses écarts.
4.6. Les grandes lignes de la réforme démographique
En prenant comme base
les études des échelons et des groupes de production, Gaston Bardet, expose
alors les grandes lignes de la réforme démographique à entreprendre.
Dans
la structure rurale : Favoriser le regroupement spontané des
petits hameaux et villages autour de villages-centres et de centres
coopératifs. Faire de ces villages-centres équipés, de véritables noyaux d’une
nouvelle civilisation rurale. Faire du « pays » l’unité nouvelle
d’équipement rural. Irriguer, par roulement, la campagne de tous les éléments
qui justifient l’attraction urbaine (bibliobus, troupes théâtrales, cinémas
ambulants, etc…).
Dans
la structure urbaine : Donner au quartier la semi-autonomie nécessaire
à sa constitution et à son développement. Favoriser la croissance des trop
petites villes jusqu’à l’optimum de 10.000 familles. Créer, si nécessaire, de
nouvelles cités de production du volume de l’optimum. Limiter la croissance des
villes actuelles qui ont dépassé l’optimum, les faire essaimer, en faire le
centre d’une ville-fédération.
Dégonfler
et aérer les métropoles régionales en recréant dans leur sein des communautés
autonomes n’excédant pas l’optimum et subdivisées en échelons ; enfin,
promouvoir un type nouveau de métropole décentralisée, métropole en grappe ou
ville-fédération.
Décentraliser
au maximum à l’intérieur du territoire national, ce qui implique des mesures
énergiques vis-à-vis des agglomérations monstrueuses et de certaines régions
trop étendues et appliquer une politique effective d’équilibres régionaux.
Sur
tout le territoire national : Ce programme de regroupement rural et de
dissémination urbaine, ne peut être résolu sans poser comme base la
décentralisation industrielle, administrative et culturelle à diverses
échelles. Fournir à chaque échelon l’équipement social et spirituel – mobilier
et immobilier – qui lui convient afin d’y permettre le développement de
l’esprit communautaire correspondant à sa taille.
Etudier
toute cette décentralisation, ou mieux, « recentralisation » - car il
s’agit de retrouver de nombreux centres autour desquels doivent se structurer
des communautés vivantes – dans le cadre des régions.
4.7. La géographie de l’esprit
Après avoir montré
l’importance de la géographie, de la création volontaire de petits groupes en
vue de la liberté, la justice, l’égalité dans la joie, Gaston Bardet précise
qu’il ne voudrait pas que l’on puisse en conclure que le retour aux cadres
traditionnels est le sens unique de
l’évolution future. Ce retour à des cadres connus et éprouvés n’est qu’une
reprise en vue d’une extension des associations personnelles et de la
recréation de nouveaux cadres, sur de nouvelles bases. Le renforcement, la
contraction des communautés de voisinage a pour but de faciliter l’extension,
l’expansion des communautés territoriales.
Toutefois,
la nécessité de vastes fédérations, comme les fédérations européennes, semble
indiquer au préalable, un renforcement des petites nations et l’affirmation
d’une structure régionaliste éprouvée dans les grandes nations.
Le
danger de notre civilisation occidentale consiste surtout en son
uniformisation. Elle tente à appliquer non seulement le même principe, mais les
mêmes modes, les mêmes mœurs à des peuples bien différents. Elle va ainsi
contre la foncière diversité humaine. C’est pourquoi Gaston Bardet pense qu’il
faut voir dans le nationalisme des petits peuples et le mouvement régionaliste,
un réflexe de défense contre une uniformisation erronée et nullement un
obstacle à l’unité. Cette unité ne peut se faire que sur les principes
fondamentaux de la Science et de la Morale, principes qui s’incarnent
différemment en chaque peuple.
L’échelle
de l’unité territoriale devient plus vaste au fur et à mesure que se diffuse
l’esprit. Une sorte de voûte, faite d’images et de sons, entoure désormais la
calotte terrestre et – sans s’évader de l’espace-temps comme l’esprit – permet
des communions qui transcendent la géographie.
Il
est probable que dans l’avenir, les éléments qualitatifs ne se regroupent plus
entre des frontières nationales distinctes. L’Europe ne sera plus considérée
comme formée d’une douzaine de nations,
mais sans doute de centaines de régions, plus ou moins diversement fédérées et
parmi lesquelles certaines présenteront une densité spirituelle qui semblera
s’élever au-dessus du sol comme une colonne de lumière.
A
l’intérieur de ces nouvelles grandes unités et par le jeu de balance que nous
retrouvons sans cesse, de nouveaux petits groupes, de nouvelles cités surgiront
comme des phares.
Cette
nouvelle architecture de communauté, unissant les deux formes orientale et
occidentale de l’humanisme, équilibrera ainsi notre besoin élémentaire de
protection au sein de sociétés closes et d’aspiration vers les sociétés
ouvertes, en attendant l’Unité humaine !
LIVRE CINQUIEME
Dans ce cinquième
livre, Gaston Bardet fait l’historique de l’urbanisme, depuis sa naissance et
son évolution jusqu’à l’aménagement de l’espace. Il présente les cinq phases de
cet aménagement, nécessaires pour générer des structures et des ambiances,
urbaines et rurales, socialement saines et génératrices de communautés vivantes
et interactives dans le cadre de la région. Il conclut cet ouvrage avec les
grands principes qui caractérisent le Nouvel Urbanisme lequel – nous dit-il –
doit être corporel, biologique et harmonieux.
5.1. De l’urbanisme à l’aménagement de l’espace
L’apparition
de l’urbanisme parmi les sciences sociales, et d’urbanistes parmi les
chercheurs, est la conséquence de problèmes neufs posés par des phénomènes dont
nous ne connaissons guère d’exemples dans l’histoire. Mais ce n’est pas parce
que cette science a retrouvé les structures fondamentales des groupements
humains, qu’une forme nouvelle, un art urbain nouveau va pouvoir renaître.
La
France
a été la première à prendre la tête du mouvement urbanistique grâce aux
considérables transformations de Paris opérées sous Napoléon Ier puis Napoléon
III. En Angleterre, c’est l’initiative privée qui impulsa le mouvement en
faveur de l’amélioration des logements populaires, en réaction contre la ville monstrueuse. Mais
c’est à l’Allemagne que revient officiellement la première place en matière
d’aménagement et d’extension des villes par le traitement méthodique des villes
existantes et une politique foncière municipale ainsi que le traitement, avec
un soin particulier, des quartiers excentriques où logeait une forte population
ouvrière. Aux Etats-Unis, les réalisations sont le fait d’associations privées
de commerçants, d’industriels et de « clubs » qui voient dans
l’urbanisme une « bonne affaire » pour la Cité. Son apport principal
consiste en la réalisation de vastes systèmes de parcs réunissant les réserves
boisées, les parcs et les jardins intérieurs à la ville au moyen de rubans de
verdure.
C’est au
célèbre Congrès de Londres, en 1910, où se trouvent réunis les grands
pionniers de l’urbanisme, qu’apparaît pour la première fois le mot
« urbanisme ». C’est cette même année qu’en France fut proposé que toute ville
de plus de 10.000 habitants fasse l’objet d’un plan d’extension et
d’embellissement.
En 1903, en France, Marcel Poëte avait créé le Cours
d’Introduction à l’Histoire de Paris qui fut
le germe de l’enseignement de l’urbanisme en France. En 1918 apparaît l’Ecole
Pratique d’Etudes Urbaine et de d’Administration municipale et en 1924,
l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris. En 1938, devant
l’indifférence officielle montrée pour l’enseignement pratique, Gaston Bardet
ouvrit un atelier libre qui forma de nombreux élèves, qui occupèrent par la
suite des postes important dans le domaine de l’urbanisme.
En 1919, c’est
la naissance de la première revue française spécialisée : « La
Vie Urbaine » dirigée par Marcel Poëte. Puis, en 1932 la revue
« Urbanisme » et en 1936 l’éphémère « Paris et la Région Capitale », dirigée
par Gaston Bardet.
Le Congrès de
Paris de 1937 sur « l’Aménagement régional et national » concernait
essentiellement l’aménagement de l’usage du terrain. Toutefois, Raymond Unwin
éleva le débat à son véritable niveau en disant : « l’aménagement de
l’espace doit contribuer à créer des valeurs nouvelles, par une coopération
échelonnée entre les diverses unités et ce, depuis la personne jusqu’au globe
entier ». De son côté, l’architecte suisse Amin Meili déclarait :
« la campagne, la ville et le village constituent le tissu cellulaire qui
enferme les existences humaines. Or, l’expérience enseigne qu’il existe un
optimum d’espace Le bonheur des hommes et le travail qu’ils fournissent
sont essentiellement influencés par leur ambiance. Aussi bien envisageons-nous
l’aménagement du « milieu » (au sens le plus général du terme) comme
partie intégrante du programme de planisme qui est, pour l’avenir, d’une
nécessité absolue… ».
Né du désir
d’améliorer le logement ouvrier et désignant d’abord une simple discipline
d’aménagement des cités, l’urbanisme a été étendu successivement à
l’aménagement des régions et des villages puis à la nation toute entière.
Présentement, l’urbanisme désigne donc l’aménagement du sol à toutes les
échelles, l’étude de toutes les formes de localisations humaines sur la terre.
Parti de l’organisation des groupes denses, il a dû s’étendre à toute
« l’économie territoriale ».
La définition
de l’urbanisme qu’en donnait le dictionnaire de l’Académie Française :
« Art de construire, de transformer et d’aménager les villes au mieux de
la commodité suivant les règles de l’esthétique et de l’hygiène » est très
près du stupide triangle : hygiène, beauté, confort officiellement
enseigné à l’époque, qui ne visait que la commodité et non l’épanouissement
complet de l’homme. A ces trois facteurs, Gaston Bardet en ajouta deux autres,
présentant ainsi les cinq grands problèmes qui se posent à l’urbaniste, dans
l’ordre hiérarchique suivant : - Problèmes de circulation,
-
Problèmes d’hygiène,
- Problèmes économiques
et sociaux
- Problèmes
d’esthétique,
- Problèmes
intellectuels et spirituels.
permettant une définition
beaucoup plus ample de l’urbanisme qui « est, à la fois, une science, un
art et une philosophie ; une science qui s’attache à la
connaissance des choses, étudie méthodiquement les faits, recherche les causes
premières, puis, après un travail rigoureux d’analyse, essaie, en des synthèses
successives, de déterminer, sinon des lois, du moins des principes
directeurs ; sur cette base peut s’ériger un Art appliqué qui passe
à l’action, à la création de synthèses nouvelles, matérialisant par un jeu de
vides et de pleins les volumes où se répartissent les groupes sociaux ;
mais l’application de cet art, après l’analyse scientifique, nécessite un
double choix : choix des éléments à soigner, modifier, susciter ;
choix des méthodes à appliquer - ce
double choix impliquant la détermination des valeurs humaines, c’est, par
essence, une philosophie. La connaissance impassible, la création
enthousiaste et le choix des valeurs sont les trois aspects
nécessaires du faisceau de disciplines que symbolise l’urbanisme ».
En
ce qui concerne l’aménagement de l’espace, Gaston Bardet considère « -
pour l’instant et à notre échelle – il ne peut y avoir en fait que des méthodes
d’aménagement régional ».
-------------------------------------------------------------------------------------------
5.2. Les cinq phases de l’aménagement de l’espace.
Gaston Bardet
poursuit : « il n’y a pas une science mais une politique de l’urbanisme
national. Il ne peut y avoir qu’une science de l’aménagement régional. Ce sont
les régions qui, par leurs fédérations successives, formeront les nations, puis
les plus vastes confédérations, grands espaces ou continents ». Le Plan
national d’urbanisme qu’il a maintes
fois exposé, n’est qu’un retour à des équilibres régionaux. C’est à l’échelle
de la région – qui fait éclore la ville, comme une fleur géante dans la
campagne – que doit s’étudier l’aménagement de l’espace.
Tout
aménagement spatial peut se diviser en cinq phases principales :
A
– les Enquêtes et les Analyses,
B –
l’évaluation critique des besoins et des activités déterminant le Programme-but.
C
– la Synthèse, ou composition du Plan directeur proprement dit,
D
– le Programme-moyen ou Programme d’application et l’Ordre d’urgence.
E
– l’Application éducative et les Mises au point.
Examinons
chacune de ces phases.
A
– Les Enquêtes et Analyses.
Toute
la valeur du Plan ou du Programme dépend de l’analyse des structures et des
fonctions urbaines et régionales, autrement dit de l’enquête préalable, jamais
assez approfondie, jamais assez subtile et dans laquelle la topographie sociale
joue un rôle primordial. Cette enquête doit porter sur les principaux points
suivants :
1) le cadre
antrhropo-géographique.
2) le site.
3) les hommes.
4) l’évolution des tâches
agglomérées.
5) l’équipement des échelons et
le zoning des fonctions.
6) l’éducation et les loisirs.
7) l’esthétique et les volumes
sociaux.
8) l’activité économico-sociale.
9) la santé et l’hygiène.
10) les voies et transports.
L’essentiel
est d’arriver, après tamisages successifs et coups de sonde répétés, à obtenir
une vision réellement synthétique du sujet mis en observation.
L’enquête,
autrement dit la recherche et la réunion des témoignages permettant un
diagnostic sûr, peut se décomposer en trois enquêtes superposées :
bibliographique, personnelle et monographique.
1)
– l’enquête bibliographique comporte le dépouillement des ouvrages antérieurs,
archives, etc…se rapportant au sujet et permettant d’établir son évolution dans
le temps.
2)
– l’enquête personnelle est ainsi appelée parce qu’elle doit être faite en
personne et qu’elle s’adresse à des
personnes.
3)
– l’enquête monographique, ou description de chaque zone, de chaque groupe, de
chaque fait particulier présentant une individualité distincte. Elle présuppose
la délimitation de chaque zone, de chaque groupe distinct ce qui nécessite au
préalable l’établissement de cartogrammes qui fournissent l’image des
variations d’intensité des phénomènes suivant le lieu.
A
ces trois enquêtes classiques, Gaston Bardet en ajoute une quatrième, l’enquête
par corps. Elle concerne les « groupes constitutifs de la ville
ou de la région, les groupes locaux ou associatifs qui déterminent, à leur
échelle et par écrit, leurs besoins ; que les quartiers et les
sociétés voisines se connaissant mutuellement, estiment entre eux leurs besoins
communs de chacun et les besoins communs de l’ensemble ».
B
– L’évaluation critique des besoins et des activités.
Le planning suppose une révision des valeurs
d’actualité, des engouements, des modes ou des résidus des systèmes caducs,
pour ne conserver comme base certaine, que les grandes constantes climatiques,
géologiques, géographiques, psychologiques, métaphysiques et les constantes
sociales provenant de l’échelle des différentes communautés organiques,
détectées
antérieurement. L’essentiel est
de partir d’une échelle des valeurs répondant aux relations réelles.
Cette
évaluation critique des besoins repose sur trois facteurs : les directives
du Plan national d’aménagement, les desiderata de l’enquête par corps, enfin la
culture personnelle de l’urbaniste.
Cette
évaluation permet de déterminer les grandes lignes du Programme-but. Que
désire-t-on atteindre ? Le Plan essaiera de matérialiser cette volonté sur
le sol. Puis le Programme-moyen fixera les méthodes à employer, les
moyens d’application, les réalisations prévues et le déroulement souhaitable
des opérations.
C
- La synthèse ou composition du Plan directeur.
Les deux premières phases mettaient en œuvre
principalement l’esprit scientifique et philosophique de l’urbaniste. La
troisième phase réclame l’intuition et l’imagination créatrice.
Puis
apparaît le Plan proprement dit. Il ne s’agit point d’une mosaïque de
conceptions diverses, mais d’une orchestration de partitions souvent fort discordantes
au départ. L’intuition et la raison règnent alternativement en maîtresses. Il
s’agit d’un art qui vise à combiner soit des activités sur des surfaces,
soit des surfaces au milieu d’activités, de peindre l’homme et le sol
dans leurs interrelations et interactions multiples. C’est un art de
stratège beaucoup plus qu’un art de maçon. Un art de distribution
d’activités, c’est-à-dire d’hommes sur des surfaces. Cette composition
économico-sociale – qui, à grande échelle, sera traduite par les exécutants
ingénieurs, architectes, jardiniers- n’en est qu’à ses premiers balbutiements.
Elle devra s’apprendre sur le terrain.
Pour
qu’un planning territorial ne reste pas une carte géologique, il faut qu’il
traduise autre chose qu’un état purement statique, c’est-à-dire, une foule en
action, ce qui nécessitera une conjonction étroite entre les organismes
techniques d’exécution et les organismes administratifs et politiques de
direction.
Pratiquement,
dans la composition du Plan, la difficulté majeure pour l’urbaniste consiste à
passer du régime du zoning, auquel les règlements l’ont habitué, au régime des
échelons. De l’analyse sociale surgira le besoin de créer une structure
plastico-sociale affirmée où la topographie sociale se révèlera créatrice.
D
– Les programmes d’application et l’ordre d’urgence.
Enquête, évaluation
critique et plan proprement dit n’apparaissent que comme des opérations
préliminaires. C’est l’application du plan, constante et continue, qui
constitue effectivement le planning.
Tout
plan – qui n’est qu’entrelacs et taches de couleur – n’a de valeur
qu’accompagné de son programme d’application qui doit, d’une part, être un
programme de réalisations collectives et, de l’autre, indiquer l’évolution
souhaitable de chaque surface-activité.
Un
programme d’aménagement devra donc comporter deux parties complémentaires mais
hiérarchisées, la première visant l’urbanisme actif : l’équipement
proprement dit, la seconde, l’urbanisme passif ou discipline de l’initiative
privée. En outre, pour établir ce programme, chaque agglomération devra être,
avant toute chose, divisée en échelons. C’est dans chaque échelon –
principalement d’ordre domestique et paroissial – que se poseront et se
résoudront, de bas en haut, les problèmes restant tous à taille humaine.
Gaston
Bardet considère qu’il est nécessaire de reprendre la question du zoning par
la base en ne
mélangeant plus les unités sociales et les règles d’hygiène, la densité et
l’esthétique. Et en veillant à ce que le zoning d’activité n’engendre pas
un zoning territorial basé sur la richesse.
En
résumé, le zoning , c’est-à-dire, la division officielle en zones, secteurs et
alignements, n’est qu’une division administrative , sans échelle, un pur
classement en vue d’un contrôle simple des autorisations de bâtir. Un pur
classement visant à l’uniformité et détruisant l’unité. Ce zoning administratif
devra donc laisser le pas aux quartiers, aux échelons : réalités sociales.
Ceci sera facilité par de nouveaux modes d’implantation des maisons, dans le sein
d’îlots ou d’unités plus vastes, plastiques et sociales à la fois : les
unités de voisinage. Le zoning, conception formelle et géométrique, devra se
subordonner aux échelons exprimant l’être urbain ; fédération de
communautés organiques.
Une
réforme totale du programme d’aménagement devra donc comporter deux parties
bien distinctes visant, la
première : l’urbanisme actif ; la seconde, l’urbanisme passif.
1) - l’urbanisme actif : programme d’équipement de la
ville : services et espaces libres publics.
2) - l’urbanisme passif : règlements
différentiels concernant l’utilisation du sol et la disposition de
constructions privées.
Il faut
insister sur toutes les possibilités de coopération et ne jamais concevoir
d’actions individuelles isolées qui ne puissent servir au bien commun, en
commençant par les voisins. Le règlement, volontairement dur, contre toute
tentative d’exploitation du bien commun à des fins privées, doit conduire à une
politique de bon voisinage qui est à la base de toute communauté humaine.
Un ordre d’urgence par étape doit être établi
en vue de la réalisation de l’équipement, des activités nouvelles à développer,
ou des séquelles à effacer. Cet ordre d’urgence s’avère très délicat par suite
des interactions du milieu extérieur, mais plus encore peut-être par suite des
cloisons existantes entre tous les services et des mauvaises méthodes de
financement. Il est bien évident, qu’un organisme : ville, région ou
quartier ne pourra satisfaire ses besoins s’il ne possède pas pour ceux-ci un budget
autonome, s’il n’a pas une direction représentant les groupements intéressés,
capables de poursuivre des buts lointains, s’il ne constitue pas effectivement
un « corps » organique en face des autres corps constitutifs plus ou
moins puissants, plus ou moins sclérosés.
L’enquête, l’évaluation
critique, l’expression des besoins réels sont indispensables si on veut avoir
des plans réalisables, mais faut-il encore que ceux-ci se réalisent. Ceci n’est
possible, en tous domaines, que si les intéressés sont eux-mêmes en mesure de
coordonner les activités qui les régissent et de répartir les fonds qui leur
sont nécessaires.
E - l’application éducative et les mises au point.
Cette dernière phase
consiste à faire intégrer progressivement le plan dans les formes caduques
actuelles, à le substituer aux routines et au laisser-aller.
Un plan d’aménagement
est un dossier toujours en instance. Les aménagements dans chaque échelon
devront partir du bas, de l’intérieur et non de règles trop extérieures, en vue
d’épouser la complexité de la vie. Il ne peut être que le couronnement de deux
stades préparatoires : le plan économique et le plan directeur.
Le plan
économique fixant, entre certains minima et maxima, la valeur des terrains par
zone pour éviter toute spéculation, doit précéder tout aménagement.
Le plan économique étant
établi, l’urbaniste va pouvoir passer au plan directeur, lequel va déterminer
les communautés territoriales, l’équipement de chacune de ces communautés, les
tracés majeurs et les prévisions des grands services publics.
Ce plan directeur, comme
son nom l’indique, ne peut être qu’une armature évitant les grosses erreurs et
fixant les surfaces-activités, les principales localisations, les terrains et
espaces libres réservés. Il sera déclaré d’utilité publique sans plus attendre.
Cette nouvelle fixation, d’ordre social cette fois, n’est pas non plus
immuable. Elle aura pour but de provoquer de nouvelles applications de détail,
de nouvelles mises au point, des propositions de réalisations de la part de l’initiative
privée, pour les édifices semi-publics, en particulier.
Mais une fois les plan
économique et directeur définis, l’initiative doit venir de la vie urbaine
elle-même, de ses représentants agissants : industriels et commerçants,
propriétaires ou entrepreneurs. La spéculation même, dans ce qu’elle a de
constructif et rendue incapable de détourner le bien commun à son profit, est à
utiliser. En somme, c’est l’initiative privée, stimulée et guidée, qui doit
aider à passer du plan directeur au plan d’aménagement proprement dit.
En fait, les vrais plans
sont surtout des instruments d’éducation pour l’initiative privée, les
organismes publics et semi-publics et les agents d’exécution qui devront les
mettre en œuvre. Ces plans ne peuvent espérer se réaliser si - après avoir
forcé les communautés à exprimer leurs besoins - ils n’éveillent pas leur
imagination, s’ils ne mettent à jour des tendances en puissance.
En résumé, les
conditions de réalisation d’un aménagement de l’espace sont une totale soumission
de l’auteur à l’objet, une grande hauteur de vue, une égale dose de bon sens et
d’intuition, et le sens du devenir.
Quels sont donc les
grands principes qui permettent de caractériser le Nouvel Urbanisme décrit dans
cet ouvrage? Quelles sont les directives maîtresses qui permettent dans chaque
cas particulier d’œuvrer dans le bon sens ? On peut les résumer en trois
mots : le Nouvel Urbanisme doit être corporel, biologique et
harmonieux. Principes directeurs d’une
fécondité surprenante pour qui sait en recueillir les fruits. Cette subdivision
est d’ordre purement didactique car il n’y a pas de séparation possible. Les
trois directions maîtresses sont un seul et même acte dans tous les gestes de
l’urbaniste.
5.3.
L’urbanisme corporel
Contre la dictature des
abstraits qui a conduit à un monde inhumain, le Nouvel Urbanisme, comme le
Nouvel Humanisme, doit retrouver le réel, être incarné. Il doit prendre corps
et s’insérer dans des corps.
Résumons ce qu’en dit
Gaston Bardet. Il cite Bergson : « c’est pour des sociétés simples et
closes que la structure morale originelle et fondamentale de l’homme est
faite ». « Ce n’est pas en élargissant la cité qu’on arrive à
l’humanité, ce n’est pas par simple amplification qu’on passe d’une société
close à une société ouverte », mais par des bonds successifs.
Partout l’homme cherche
à reformer de petites sociétés au milieu des grandes et à s’y ériger en
privilégié, car il a besoin d’être le petit soleil d’un microcosme, il a besoin
de l’estime des autres et il ne peut être connu, donc admiré, aimé, que dans un
petit cadre. Or, le drame social de l’époque actuelle vient de ce que l’on a
tenté d’obtenir de grandes sociétés ouvertes en amplifiant, en gonflant, en
faisant éclater les anciennes sociétés closes, ce qui les a détruites, au lieu
d’avoir cherché à les former par une série de fédérations de sociétés
structurées gardant taille humaine.
L’homme a besoin de la
joie pour savoir si sa destination est atteinte. Pour permettre à chacun
d’avoir sa part de joie, il faut en multiplier les possibilités, donc les
petits cadres où les plus humbles qualités apparaissent en pleine lumière. Les
petits cadres sont pour les hommes ce que la Terre était pour Antée, ils leur
servent à prendre leur essor pour les fédérations successives des groupements
humains. Il nous faut sentir cette pulsion qui va des proches (le plus proche
étant nous-même) à l’infini.
Gaston Bardet rappelle
que ses topographies sociales l’ont conduit à déceler des groupements d’échelle
sensiblement constante et qu’avant toute esquisse, l’urbaniste a besoin
d’établir une enquête par corps : familiaux, locaux ou
professionnels, de voisinage ou d’activité, afin de susciter l’estimation
commune entre les groupes constitutifs de la ville et de la région, les
besoins privés de chacun et les besoins communs de l’ensemble - chacun de ces
groupes étant parfaitement habilité à reconnaître les problèmes à son échelle.
Mais sachant que le bien commun du tout est au-dessus de celui de la partie, il
est essentiel de n’orienter fermement chaque groupement que là où il est
humainement impossible de ne pas lui laisser sa propre direction. C’est une
question d’échelle.
Aux méthodes uniformisantes
du zoning doivent se substituer des méthodes unifiantes par échelons,
l’équipement public et semi-public doit se faire échelon par échelon, corps par
corps. Ce sont avant tout les lieux de réunion qui caractérisent et unifient
les échelons. Seule une floraison de centres sociaux - de plus en plus
indispensables au fur et à mesure que les masses accéderont à la culture -
permettra de structurer les tissus urbains, de recréer des quartiers vivants où
les individus pourront équilibrer leurs activités complémentaires. Quant à la
structure rurale, elle doit reprendre vie par regroupement autour des
villages-centres et des chefs-lieux.
Sous quelque angle que
nous abordions le Nouvel Urbanisme, nous retombons sur l’affirmation de corps
organisés et fédérés. Les plans et programmes qui résulteront de cette méthode
d’affirmation et de renforcement des corps existants - fruits d’un consensus et
d’une autorité réelle ne se manifestant qu’aux échelles où elle doit se manifester - seront donc réalisables.
Mais pour qu’un plan
réalisable se réalise il faut que les groupements qui y sont intéressés y
soient réellement attachés et en assument la direction. Il est donc
indispensable que des associations syndicales de propriétaires soient
constituées pour chaque opération d’ensemble et qu’on leur fournisse
l’autonomie la plus complète possible en les dotant de techniciens avertis,
d’un contrôle intelligent et souple et, enfin, de crédits spécialement
affectés.
Les associations
syndicales de propriétaires, l’expropriation par zones coïncidant avec les
échelons territoriaux, l’utilisation des plus-values aux œuvres d’équipement
social, permettront un financement effectif d’opérations visibles par la
compensation. Regroupés, re-centralisés suivant leur état organique, les
échelons détectés par l’enquête par corps doivent donc vivre, se renforcer pour
l’exécution des améliorations qui leur sont personnelles. Le sentiment de
communauté se fera jour éliminant ainsi tout individualisme.
5.4. L’urbanisme biologique
C’est, en effet, le
propre de la chose organique que la partie implique le tout, qu’il y a par
suite une dépendance entre la forme et la grandeur, ce qui conduit à la
recherche des optima comme étudié précédemment.
L’histoire nous montre
une création continue de corps organifiés à la manière des êtres vivants,
c’est-à-dire organisés de l’intérieur, par agrégation volontaire. Cette
formation ne rencontrait point d’obstacles lorsque l’homme était immergé dans
la nature, lorsque sa technique ne l’assujettissait point. Mais actuellement,
l’homme s’est laissé dominer par la technique, qui l’entraîne à une vitesse et
à des modes de vie destructeurs des formations naturelles. Nous ne retrouverons
des organisations organiques que lorsque nous saurons dominer notre technique,
c’est-à-dire, la faire servir à l’épanouissement des êtres vivants et de
l’homme en particulier.
Il n’est pas en notre
pouvoir de créer une vie organique, par contre nous sommes outillés pour
provoquer la création de la vie sociale. Nous pouvons, en rapprochant des
individus dans des cadres appropriés, en les mettant en contact dans des
conditions favorables et en remettant le levain évangélique dans la pâte
humaine, faire jaillir la flamme communautaire. Mais dès qu’il s’agit de
groupements importants, n’oublions pas que nous ne pouvons, dès lors, que
fédérer - le moins maladroitement possible - des organismes sociaux déjà
existants, des corps préexistants, et c’est en cela qu’urbanisme biologique et
urbanisme corporel se rejoignent.
Quels sont les obstacles
à cet ordre « biotechnique » ?
Le tout premier est celui que dénonce Lewis Mumford : « Plus
les énergies d’une communauté s’immobilisent dans des structures matérielles
massives, moins elle est prête à s’ajuster aux nouveaux besoins et à profiter
de nouvelles possibilités ». Et
Gaston Bardet précise : « Il s’ensuit qu’il faut examiner attentivement chaque proposition
visant à élaborer le cadre matériel de la communauté. Il faut discuter les
conséquences sociales des moyens mécaniques proposés, prévoir les possibilités
d’un équipement mécanique plus simple et plus léger, décentralisé plutôt que
centralisé, petit plutôt que grand ».
Ces principes sont
directement opposés au capitalisme historique dont « les profits
découlent de la production et de la vente des utilités mécaniques : plus
c’est grand, plus c’est nombreux, plus c’est profitable ».
Du point de vue
biologique, nos villes sont contraires à l’ordre et leurs déficits paralysants
font obstacle à une méthode souple qui permette de traiter les situations
neuves par des structures appropriées. Un des plus grands avantages de la
petite cité sur la métropole réside dans le fait qu’elle ne chancelle pas sous
le poids des capitaux enfouis en aménagements non productifs. L’économie qui
consiste à construire léger ne repose pas simplement sur un investissement
moins élevé, sa supériorité tient à ce qu’elle permet de profiter des
améliorations futures.
« La charge
écrasante de moyens mécaniques qui existe actuellement dans l’habitation, le
gratte-ciel et la ville, particulièrement sensible dans la ville américaine,
est un symptôme de notre incapacité de penser et d’agir suivant une vue
d’ensemble » déclare Mumford. La machine est devenue un monument,
la ‘mécanolâtrie’ une religion. Nous devons la rejeter sous ses formes
actuelles qui visent à étouffer la vie.
Aussi la reconstruction
de nos cités ne consiste-t-elle pas à ériger des coquilles, mais à recréer des
milieux vivants, des corps organiques capables de circulation et de
renouvellement dans chacun de leurs organes, membres et tissus. Le mur d’enceinte
qui symbolisait jadis la fonction protectrice de la ville doit être remplacé
par une ceinture agricole. Pour les créatures vivantes, la seule protection
réelle vient de la croissance, du renouvellement, de la reproduction :
processus opposé à la pétrification.
Toutefois, dit Gaston
Bardet, de graves erreurs d’interprétation sont à craindre, surtout aux
Etats-Unis où le nomadisme actuel, héritage des pionniers, conduit à un goût
pour les changements accélérés et à une dégradation générale qui mène fort
loin.
Le
renouvellement n’implique pas le remplacement à bref délai d’une coquille par
une autre, comme on change d’auto par exemple, mais, tout au contraire,
l’élaboration de coquilles de base permettant le renouvellement de l’être
vivant, de coquilles qui n’empêchent pas l’épanouissement de celui-ci, le
développement de ses besoins au fur et à mesure de leur apparition. Ceci
implique la découverte de constantes architecturales qui n’auront pas à être
renouvelées (parce que caduques) de génération en génération. Découvrir et
établir ces constantes est le but même de l’urbanisme moderne.
Le renouveau signifie
concevoir des constructions en matériaux tels et suivant des techniques telles
qu’elles pourront être aisément transformées au rythme des générations, secteur
par secteur, structure par structure et même environnement par environnement.
Un point essentiel est
que l’urbanisme biologique doit évoluer à l’allure des êtres vivants - rythme
des générations - et non suivant un processus de changements perpétuels
accélérés. Quel frein trouverons-nous aux changements immobiliers accélérés par
la mode et la spéculation ?
Le plus grave est que
l’homme, dans l’incapacité de modifier la vitesse de sa pensée, liée au
cerveau, sa vitesse d’assimilation intellectuelle - qui reste biologique - n’a
trouvé d’autre expédient que d’adapter sa vie intellectuelle au rythme de la
vie mécanique.
Un urbanisme ramenant la
vie et la pensée à son rythme propre, a des conséquences psychologiques
considérables.
En résumé, on voit que
l’urbanisme biologique - qui n’est qu’une phase préparatoire à un urbanisme
spirituel - entraîne à une conception nouvelle du tissu urbain, des métropoles
et des constellations rurales urbaines. Il conduit à des micro groupements
légers, hiérarchisés dans des villes en grappes ou s’effectuera la symbiose des
vies urbaine et rurale.
5.5. L’urbanisme harmonieux
Nous sommes au début
d’une ère particulièrement intense, particulièrement tendue, et qui vise à
satisfaire dans un équilibre dynamique les deux grandes tendances qui guident
l’homme depuis le message chrétien : aspiration à l’unité humaine et
épanouissement de la personne dans sa liberté créatrice.
Lorsqu’on relève ainsi
des efforts du même ordre, aux deux bouts de l’échelle de l’humanité, on peut
être assuré qu’on les rencontre tout le long des maillons intermédiaires. Et
c’est pourquoi, sur des plans moins vastes et moins profonds, nous trouvons la
synthèse à chaque angle du Nouvel Urbanisme.
N’est-il pas
symptomatique que l’art urbain considéré, il y a vingt ans encore, comme
destiné à améliorer le cadre extérieur de la vie, comme voué aux
« changements extérieurs », au même titre que la vie mécanique,
apparaisse aujourd’hui comme l’instrument le plus agissant pour permettre, voire
provoquer par stimuli visuels, les changements intérieurs, sans lesquels aucune
vie sociale, aucun bonheur terrestre n’est possible ?
Réaliser la synthèse
des besoins du corps et des aspirations de l’esprit, tel est le premier
point du Nouvel Urbanisme, ce qui implique satisfaire aux nécessités
élémentaires du confort, sans lesquelles il ne peut y avoir aucune spiritualité
pour la moyenne des individus. Faut-il rappeler qu’il n’est réalisable que si
l’on érige des structures qui permettent une alternance de confort et de
solitude, que l’excès de l’un comme de l’autre est un défaut que
l’éducation complète de l’homme nécessite les deux, que l’homme social et
l’homme personnel doivent s’équilibrer harmonieusement et non point se livrer
une lutte sans merci sous les noms fameux d’individualisme et de
collectivisme ? C’est par le biais des communautés territoriales, à toutes
les échelles, qu’on arrive à la synthèse désirable.
Depuis Ebenezer Howard -
couronnant une longue lignée d’utopistes - on cherchait à résoudre l’opposition
entre la ville et la campagne au moyen de cités nouvelles, de colonies
construites de toutes pièces dont le type est la « Garden City ».
C’était insuffisant. Maintenant on a compris que - dans nos vieux pays - la
Cité-jardin, sous forme de colonies entièrement neuves, ne peut être
qu’exceptionnelle. On ne cherche plus à construire ex abrupto mais à
utiliser la structure urbaine existante en y introduisant l’espace libre et les
facteurs qui assurent la vitalité de la campagne, et d’autre part, à féconder
la structure rurale par des noyaux de civilisation urbaine. Cette recherche
d’unité a conduit à concilier les exigences de la circulation mécanique et
de la vie piétonnière. On a, tout d’abord, cherché à différencier les voies
empruntées, puis les Américains sont arrivés au principe du « neighborhood
unit », cerné par la circulation mécanique et à l’intérieur duquel peuvent
s’épanouir, en toute quiétude, les vies enfantine, familiale et de quartier.
Depuis, les Anglais ont généralisé cette formule à tous les cas sous le nom de
« precinct ».
La place qui, depuis
l’Antiquité, était un élément principal de l’organisation urbaine, avait perdu
toute prééminence à l’avènement du Machinisme. Le carrefour lui avait
succédé : carrefour à giration d’Hénard ou trèfle américain.
L’opposition entre
place et carrefour semblait irréductible. Mais celle-ci a été résolue par
l’application du système des « precincts » : ensemble
constituant un immense carrefour dont le centre est occupé par la vie piétonnière,
et une circulation locale, à vitesse réduite, rendant la vie de porte à porte
humainement possible, et autour desquels la circulation mécanique continue sa
ronde infernale. Cette synthèse de la place-carrefour couronne dignement celle des circulations
mécanique et piétonnière dans les quartiers.
Enfin, le zoning
social - créateur de lutte des classes - celui qui avait conduit à séparer
les individus selon la forme et l’importance de leur habitat (donc suivant
leurs moyens matériels), se voit frappé à mort. Avons-nous lutté pour
cela ! nous dit Gaston Bardet. Il n’est plus question d’opposer le
gratte-ciel et la cité-jardin, plus question de créer des zones trop denses
d’habitations collectives et d’immenses banlieues de pavillons, plus question
de réserver le centre urbain aux célibataires et la périphérie aux familles.
Dans les unités de voisinage, dans les quartiers, on doit prévoir un complexe
d’habitat familial et d’habitat collectif soigneusement adapté aux besoins du
logement.
Il n’est plus question
d’opposer le gratte-ciel et la cité-jardin horizontale qui symbolisaient (pour
les journalistes) les théories en présence. Le gratte-ciel se justifie pour les
bureaux, les studios, les effets plastiques des monuments publics dans
certaines conditions d’environnement. La cité-jardin ou le quartier-jardin
doivent contenir, outre les maisons isolées, des maisons en bandes, des maisons
plurifamiliales, des maisons collectives, toute une gamme de possibilités qui
va des « garden appartments »
américains aux « palazzine » italiennes.
En esthétique urbaine,
plus de régionalisme naïf d’une part ou de cages à lapins d’autre part. Si la
Science est internationale, l’Art est local. Les artistes savent maintenant
faire entrer l’air et la lumière, équiper avec le confort optimum, tout en
s’exprimant librement dans le cadre à l’intérieur duquel ils s’insèrent.
L’Art urbain dont nous
avons vu la mission propre : réaliser la synthèse du changeant et du
permanent dans des cadres durables et nécessaires à l’équilibre de nos
facultés, doit ériger des cadres permettant la sociabilité et l’épanouissement
mutuel de la personne et de la communauté. Ainsi, la Cité Harmonieuse, plus que
toute autre, permettra l’éclosion du supplément d’âme que réclamait
Bergson pour dominer et diriger notre corps « démesurément grandi »…
L’urbaniste est un
appeleur d’âme.
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